Jeudi, 11 décembre 2025

Chroniques

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L’histoire qui se répète

Le 11 décembre 2025 — Modifié à 06 h 00 min le 11 décembre 2025
Par Stéphanie Gagnon

Quand j’étais petite, j’avais pas vraiment peur des affaires classiques qui font pleurer les enfants. Rien ne grouillait sous mon lit, personne ne m’attendait dans la garde-robe. Mais j’ai eu peur de vrais humains. Pas de monstres inventés dans des livres ou des films. Des noms et des visages qui revenaient constamment dans l’actualité, et qui étaient immanquablement accompagnés d’images saisissantes, de celles qui font gonfler la boule dans le ventre.

Je fais donc une Charles Beauchesne de moi-même et je vous présente un petit palmarès de mes propres bonshommes Sept-Heures, ces crottés qui ont perturbé le monde dans un passé pas si lointain, genre hier matin à l’échelle de l’histoire.

Vous rappelez-vous de Nicolae Ceaușescu?  Le dictateur roumain qui a sévit de 1965 à 1989.  Il a, entre autres, forcé les femmes à mener leurs grossesses à terme ce qui a occasionné des orphelinats pleins à craquer, des bébés entassés et attachés dans des lits dans des conditions de négligence extrême, sans stimulation… Ces images ne s’oublient pas. Vous le savez si vous les avez vues.

Il a également scrappé l’économie de son pays et établit un culte de personnalité pour lui et sa tendre épouse qui vivaient dans une abondance extrême pendant que le peuple crevait de faim. Son épouse qu’il a d’ailleurs élevée au rang de génie scientifique sans qu’elle ait aucune formation (Tiens tiens. Comme un certain secrétaire à la santé près de chez vous)… Et les chercheurs étaient tenus d’approuver les lubies de madame sous peine d’être arrêtés ou surveillés par la Securitate, la police secrète de l’état entre les mains de laquelle tu ne voulais assurément pas te retrouver. Arrestations arbitraires, torture, interdiction de contester… Ice Ice baby.

Ah. Pis Saddam. Je me souviens avoir fait des cauchemars d’être bombardée malgré les milliers de kilomètres qui nous séparent du golfe Persique. Encore là, une glorification extrême où il est présenté en protecteur omnipotent, garant de la sécurité nationale. Élu, il prend le contrôle de l’armée, des services secrets… Ce qui lui a donné la voix libre pour torturer et massacrer tantôt ses rivaux, tantôt des intellectuels, et pourquoi pas des peuples tant qu’à y être ? Les Kurdes et les Chiites, des dizaines de milliers dans chacun des cas.

Centraliser le pouvoir lui a permis de rester en poste de 1979 à 2003 (Trump 2028?) , lors de la chute de Bagdad. Je revois encore les images très nettes de sa géante statue de bronze (est-ce une statue ou une sculpture, Janick Emond?) se faire renverser le 9 avril 2003, la journée de naissance de ma fille Rose. La fin violente d’un règne oppressif et la douceur fragile d’un nouveau souffle, c’est paradoxal.

Y’a aussi eu Slobodan Milosevic, en ex-Yougoslavie. Il a bâti sa carrière en attisant les tensions ethniques. Il répétait sans cesse que les Serbes étaient menacés, humiliés, en danger. Tu identifies un « eux » contre un « nous ». Tu répètes un mensonge jusqu’à ce qu’il sonne vrai. Tu réécris l’histoire pour te justifier. Résultat ? Un contexte explosif. Il ne reste qu’à souffler sur la braise pour que ça s’embrase. Je me méfie ben gros des discours de « retour à NOS valeurs » et de ceux qui musellent les voix dissidentes, ou les médias. J’ai connu un réfugié bosniaque et sa famille qui m’ont parlés des carnages qui ont eu lieu dans leur pays. Et que les cimetières débordaient et qu’on a commencé à enterrer les corps debout pour gagner de l’espace. Ca s’est passé en 1995 ça.

Tout ça pour dire que connaître l’histoire, c’est pas juste pour faire les smattes au souper du 24. C’est pour se doter d’un radar et être capable de dire : eille, on l’a déjà vu ce film-là, pis ça se passait pas bien.

Des humains qui profitent d’un moment fragile pour s’installer au pouvoir, en jouant sur la peur, la colère et la nostalgie du passé (jamais aussi rose qu’on le raconte), il y en a toujours eu, et il y en aura toujours…

En ce moment même, l’histoire crie pas mal fort pour qu’on entende pas ses avertissements. Pis, je le vois dans les yeux inquiets de mon petit homme de 11 ans. Il l’a trouvé aussi, son bonhomme sept-heures. Pis quand ton enfant a plus peur d’un dude à cravate rouge que d’une invasion de zombies… C’est inquiétant, quand les monstres sont dans la vraie vie. 

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